Géraldine BAFFOUR

Géraldine BAFFOUR

La Boudeuse : Traversée de l'Atlantique

Voici le journal de bord que j'ai ecrit pour le site de la Boudeuse, mais je ne l'ai pas proposé finalement pour une question de timing qui ne collait plus. Je n'y ai rien changé, donc il est figé sur environ la moitié de la traversée.

Les photos sont de Filipo et Sebastien, merci de ne pas les utiliser!

Bonjour à tous,

 

Il n'y a pas si longtemps que ça, je rêvais d'aventures maritimes, de voyages lointains et je me demandais comment pouvaient vivre au quotidien les héros de mes lectures. Peut-être ces petits détails de la vie quotidienne me plaisaient particulièrement car ils me permettaient de remettre ces personnages extraordinaires à un niveau humain, atteignable. Je pouvais ainsi me représenter en eux et rêver un peu plus de vivre à mon tour de telles aventures.

L'aventure de la Boudeuse, je n'en suis qu'au tout début, je n'ai pas encore prouvé grand chose, je ne sais pas si je saurai tout assumer. Seul l'avenir le dira.

Mais je peux tout de même répondre à une question que je me suis moi même posée à l'époque où je débutais la voile, qui est : comment peut-on bien s'occuper lorsque l'on traverse un océan, alors que l'on est si loin de tout?

 

 

 

Si je vous disais que l'on trouve difficilement du temps pour soi, vous seriez surpris. Et pourtant...

Commençons par les taches les plus banales. Dans notre petite communauté d'aventuriers sans peur, personne n'échappe aux taches ménagères, pas même le capitaine, qui malgré tous les périls qu'il a du affronter dans sa vie doit toujours faire la vaisselle. Avec 21 personnes à bord en ce moment, notre commissaire de bord nous arrange un planning qui nous permet d'organiser la répartition des taches de façon arbitraire, afin d'éviter toute tension ou jalousie qui pourrait prendre des proportions considérables dans ce huit clos obligé.

Ménage rigoureux afin d'éviter toute propagation d'insectes, fortement favorisée par la chaleur équatoriale. Tout ça sous l'oeil d'une caméra, ne surtout pas avoir l'air de transpirer, sourire même si on est en train de nettoyer les vitres, continuer à nettoyer la vitre même si elle est propre depuis le temps, parce qu'il faut faire un autre plan vu de coté tu comprends c'est important de changer d'angle de vue pour que ca soit plus dynamique. S'occuper du linge, tache facilitée par une machine à laver, et, peu banal, un sauna datant de l'époque où le navire était voilier-école en Suède, qui sert maintenant de séchoir. L'épreuve du sauna est je pense le meilleur entraînement contre la chaleur et le mal de mer, et seuls les plus émerites en ressortent vaillants.

Mais l'homme qui subit les pires supplices est probablement notre cuisinier, qui doit à présent supporter l'aide de commis de cuisine tous plus têtus,  incompétents et bavards les uns que les autres. Enfin ça lui apprendra, la prochaine fois qu'il ira sur l'ile de Fogo, au Cap Vert, il évitera de se démettre une épaule en allant se baigner sur une plage tranquille où les rouleaux ne font que 2 mètres de haut.

 

Mais revenons-en à la vaisselle. Vous savez, ce passe-temps plaisant que vous faisiez avant d'avoir un lave-vaisselle. A bord de la Boudeuse, on revient aux valeurs sûres, et à vrai dire on est déjà bien heureux d'avoir une machine à laver, des congelateurs et un aspirateur, ça simplifie tout de même beaucoup la vie. Je ne sais pas si j'ai le droit de le dire, mais il y a même un micro-onde! Bref, vaisselle à l'eau de mer, car à bord l'eau est une denrée précieuse, au même titre que les céréales du matin, qui sont d'ailleurs en voie de disparition totale. L'usage de l'eau est scrupuleusement contrôlé, chacun a droit à une douche rapide tous les 3 jours, et il faut limiter au maximum le linge à laver. Les hommes ont vite compris, ils se balladent torse-nu, ce qui est très pratique à beaucoup de points de vue, et très envié par les 4 femmes du bord.

Cette limitation pourrait pourtant etre bien pire, étant donné que nous produisons de l'eau douce à partir d'eau de mer filtrée grâce à un osmoseur. Si celui-ci tombait en panne ce serait une sacré tuile, c'est pourquoi nos mécaniciens le bichonnent jour après jour.

 

Nous en venons donc à parler de l'entretien de tous les points vitaux du navire, afin de faire durer notre maison/outil de travail/moyen de transport. Il y a du travail pour les mécaniciens, l'electricien, le bosco et tous les autres. Nettoyer le pont du navire, faire les cuivre des hublots, fabriquer des jarretières pour suspendre les drisses dans les haubans, faire les cuivre des cloches, nettoyer le winch, faire les cuivres des escaliers, changer un margouillet cassé, refaire les cuivres des hublots, des cloches, des escaliers, et aussi ceux du compas qui ont été salis quand on a lavé le pont...

Prendre soin ainsi de la Boudeuse permet deux choses :

-         Savoir qu'il ne faut surtout pas qu'il y ait de cuivre sur mon futur hypothétique bateau

-         S'approprier le navire, et en être fiers lorsque l'on reçoit du monde durant les escales.

Ce qui permet encore plus de sentir à quel point on fait bien partie de l'aventure, pincez-moi si je rêve, c'est lorsque retentissent les tant attendus 5 fois 4 coups de cloche, accompagnés des « équipage à la manoeuvre ». Les pupilles se dilatent, les manches se retroussent, on se bouscule dans les escaliers, les chefs de quart répartissent les rôles à mesure que l'on passe les portes, précipitation, excitation, on attend l'ordre, les muscles tendus, « parés à envoyer la misaine? » on bande tous ses muscles pour lancer le plus énorme « PARéS!!!!!!! » « Eeeenvoyeeeez »! Extraordinaire!

Et alors quand on envoie toute la voilure, c'est... pour l'instant pas toujours réussi, on cafouille un peu, mais on y travaille. On a tous très hâte de manœuvrer ce navire à la perfection, et c'est dailleurs l'objectif à atteindre d'ici Cayenne. Chacun a appris les 98 points de tournage des cordages, il y a même eu une interrogation écrite, et toutes les occasions sont bonnes pour s'entrainer. On chronomètre chaque manœuvre, que l'on fait de nuit comme de jours, et que l'on doit être capable de réaliser dans le noir absolu. C'est une histoire d'esthétique, mais aussi et surtout de sécurité. Quand on croisera la route d'un grain, sous lequel le vent peut devenir très violent, il faudra réduire la voilure en seulement quelques minutes, sous peine de voir nos voiles arrachées!

 

 

Les manœuvres de voilure peuvent donc devenir des manœuvres d'urgence, au même titre que les exercices incendie, voie d'eau, homme à la mer et abandon du navire. Chacun possède un rôle pré-determiné pour chacune de ces situations. Par exemple, je fais partie de l'équipe d'attaque, c'est à dire qu'en cas d'incendie moi ou Marc enfile la combinaison feu, les bouteilles et le masque à oxygène, récupère la lance qu'on lui a préparée et sous les ordres de Gerald va attaquer le feu. Pourquoi moi ou Marc? Parce qu'on est les plus petits, et à fortiori les seuls à rentrer dans la combinaison feu. Et en cas d'abandon du navire, moi et Julia comptons tout le monde et distribuons les brassières, dans le calme et la sérénité.

Ainsi à toute heure de la journée, sachant qu'ici les journées durent 24 heures, la cloche peut retentir : en continu pour une manœuvre d'urgence, 4 x 5 pour les manœuvres de voile, 2 x 5 pour les repas, les apéros et les cours.

Car oui, il y a des cours à bord de la Boudeuse. Le capitaine aime à l'appeler « l'université flottante ».

Au programme :

14h : cours de matelotage, assuré par moi-même

15h : marche du navire et navigation, par le second capitaine

16h : utilisation du sextant, par le capitaine

20h : reconnaissance des étoiles, toujours par le capitaine

 

 

 

Au final on a du mal à trouver du temps pour soi ou pour les centaines de livres que contient la bibliothèque. Enfin après le dîner et l'observation des étoiles, vers 20h30, il est temps pour moi d'aller me reposer avant mon quart, qui commence à minuit et finira à 4h. Nous sommes tellement nombreux pendant la traversée que seuls les chefs de quart font deux quarts par 24 heures, ce qui pour le coup les libère des obligations ménagères. Ma nuit est coupée en deux, mais cela vaut le coup.

Les quarts de nuit sont ceux que je préfère. Après le fourmillement de la journée, le navire semble endormi. Nous restons à trois, garants de la bonne marche du navire et de la sécurité de nos compagnons. En tant qu'anges gardiens, nous leur murmurons « dormez tranquilles, nous nous occupons de tout, la Boudeuse est sur sa route, quand vous vous éveillerez nous serons un peu plus loin, un peu plus près du but ».  Le chef de quart chapote une vigie et un timonier. L'un scrute l'horizon afin d'identifier tout éventuel obstacle, l'autre gouverne le navire grâce à la barre à roue. Nous effectuons également des rondes de sécurité en machine, sur le pont et dans les amménagements déserts où pourraient se déclarer un incendie ou une voie d'eau.

 

Lors des quatre heures de quart, nous alternons 1h de barre et 1h de vigie. Durant une telle traversée, le trafic étant quasiment nul, pendant que l'oeil scrute l'horizon, l'esprit peut vagabonder : On peut enfin faire un bilan de la journée, de ces petites choses qui changent le quotidien. L'aileron de requin aperçu sur tribord, enfin ca valait pas l'enorme globicéphale qu'on a vu du haut du mat quand on serrait le flèche! Et l'oiseau qui est tombé épuisé sur la tete de Filipo et qu'on essaye de guérir, est-ce qu'il va s'en sortir? On s'extasie aussi sur la beauté et l'immensité de l'océan, rassurante, humiliante, folle ; Sur cette société dont nous sommes si loin, qui prend en compte tellement d'hommes qu'elle semble impossible a gerer, alors que dans la petite communauté que nous sommes en train de créer, tout semble plus humain, plus accessible, plus formateur car plus impliqué par nos actions directes ; sur ce ciel, fenêtre ouverte sur l'Univers et toutes les questions qu'il suggère ; et le plancton fluorescent de la vague d'etrave, et ces taches  mouvantes qui nous rappellent que nous ne sommes pas seuls, que nous flottons sur 3000 m de mystères, symboles de tout ce qu'il nous reste à découvrir, autant  pour l'humanité toute entière que pour notre simple personne. Y a t il un sens à tout ca? Que ferais-je de cette chose si etrange qu'est la vie? Je pense à tous ces evenements qui ont fait ce que je suis. Et si j'avais... Et si j'etais... comment... Et tous ceux qui m'ont appris tout ce que je sais. Que pensent-ils de moi à présent? Je pense enfin à mes proches, ceux que j'ai, ceux qu'on a tous laissés. Souvent la douleur m'empare, la culpabilité encore plus, et quand je regarde le ciel je ne peux pas m'empecher de penser que bientôt les étoiles ne seront plus les même au dessus de ma tete qu'au dessus du ciel francais. Alors je voudrais dédier ce journal de bord à ces gens de l'ombre de l'aventure de la Boudeuse. Conjoints, famille, amis, qui nous ont laissé réaliser notre rêve malgré le sacrifice que cela leur coûte. Ceux qui s'inquiètent pour nous, qui doivent gérer leurs peines, parfois leurs drames sans notre présence. Espérons au moins qu'ils soient fiers de nous.

 



15/01/2010
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