Géraldine BAFFOUR

Géraldine BAFFOUR

Trois copines traversant l'Atlantique sur un bateau en bois



Novembre. En France, c'est l'automne, le début des tempêtes d'hiver. Un exemple parfait : le départ du Vendée Globe et les abandons des différents concurrents. Ca bastonne dure dans le Golfe de Gascogne! Pour continuer à respirer l'air marin, il va falloir migrer vers des pays plus chauds! Cap sur les Antilles et son eau turquoise... et à 30°C!
Mais le mois de Novembre pour un voileux européen, c'est surtout le début des "transat'". Kesako? Une traversée de l'océan Atlantique, une transatlantique quoi! Pourquoi pas avant? Pour éviter la saison cyclonique, et à fortiori la rencontre plutot désagréable de vents de 200 km/h et de murs d'eau de 15m (bon OK j'exagère peut-être un pti peu). Mais également pour attendre la stabilisation des Alizés, ces vents constants dont la "carresse" porte les navigateurs d'Est en Ouest du Tropique du Cancer. Ainsi pour "traverser" la grande majorité des voiliers rejoignent les Canaries ou le Cap Vert, îles sur le chemin de ce couloir de vents de Nord-Est qui les porte à une allure paisible et rapide vers les Amériques. A tel point que l'on nomme cette route "l'autoroute des Alizés"!



Me voilà donc partie rejoindre Laure et Isabelle à la Gomera, jolie petite ile de l'archipel des Canaries, dominé par l'imposant volcan de Ténérife. Elles sont parties toutes les deux de l'Ile d'Yeu, où Laure et moi étions en formation de Capitaine 200 Voile, après nous être connues quand nous etions monitrices à Paimpol. Pendant la formation, Laure avait totalement craqué sur un joli ketch en bois nommé Gandalf, qu'elle avait déniché à Groix. Ancienne restauratrice de sculptures réputée, elle avait plaqué sa boite pour faire de la voile et devenir monitrice, puis skipper. Elle ne pensait pas s'acheter un bateau de si-tot, mais c'était sans compter son caractère impulsif et rêveur! En tus cas, là ou certains mettent des années à préparer un voilier pour le voyage, la demoiselle n'a mis que quelques mois. Il faut dire qu'elle a été soutenue par tous les gens qu'elle a rencontré... une fille avec un bateau en bois, ça court pas les ports!
Alors imaginez trois nenettes partant pour traverser l'Atlantique sur ce joli (et vieux) bateau??! Au programme des réjouissances : 3500 milles, entre 3 et 5 semaines sans toucher terre, en fonction du vent. Pas de frigo, 30°C au soleil, autant vous dire : pas de viande fraiche et légumes seulement la première semaine. Pas de dessalinisateur pour refaire le stock d'eau douce, ce qui signifie : douches, vaisselle, brossage de dents, lessives à l'eau de mer. Pas de téléphones portables, mais pas non plus de moyens de contacter la terre une fois éloignées de plus de 40 km des cotes (c'est à dire au bout de quelques heures après le départ). Pour charger les batteries, 3 panneaux solaires et le moteur, mais autant vous dire que ça ne suffisait pas pour recharger l'ordinateur et se mater un film tous les soirs! Nous avons allumé l'ordinateur 3 fois pour recevoir par fax les cartes météorologiques. Système extraordinaire d'ailleurs, quand on a l'impression que la civilisation s'est évaporée, qui nous rappelle que le monde tourne encore! Mais un problème de convertisseur de 220V, puis de courroie d'alternateur, nous empecha de recharger l'ordinateur par la suite. Pas de toilettes mais un seau d'eau, que nous vidions et rinçions à la mer, quand on ne faisait pas nos besoins par dessus la lisse dans les plus grandes toilettes du monde. Et surtout, contrairement à la plupart des voiliers qui traversent de nos jours, pas de pilote automatique, c'est à dire qu'il nous a fallut barrer le bateau 24h sur 24, sauf rares exceptions.



Navigation qui se rapproche plus de celle des années 70 que de l'an 2000, à la différence près, qui est de taille, que nous avions un GPS pour connaitre notre position et notre vitesse. Pas de sextant à bord (et c'est bien dommage) pour calculer notre lattitude et longitude par rapport à la hauteur du soleil sur l'horizon.
Nos journées se déroulaient ainsi : 3h de quart à la barre, puis 6h de repos pour dormir, faire des manoeuvres de voile, vérifier les points sensibles du bateau, faire à manger, se doucher à grands coups de seaux d'eau de mer (26°C) sur la plage avant, lire... En tout 8h à la barre sur 24h. Le roulement faisait que chaque jour nous étions de quart à des heures différentes de la journée. Ainsi tous les 3 jours on voyait le lever du soleil, ou celui de la lune, et cette alternance nous préservait de la routine.
A priori 8h de quart, c'est pas grand chose, et nous avons plutot bien vécu cette traversée. Mais quand ça bouge, typiquement à cause d'un bon vent qui a levé de la mer et qui disparait, laissant le bateau sans suffisament de vitesse pour négocier les vagues, qui elles sont restées ; ben on dort mal. La bateau est balloté dans tous les sens de façon chaotique, les bruits sont amplifiés, et cet état de mi-sommeil s'habille de cauchemards ponctués par le fracas des vagues sur la coque et de tout ce qui bouge dans le carré : l'eau dans les réservoirs, les verres qui s'entrechoquent, un tiroir mal fermé, la bome qui claque... Ainsi les premiers jours je croyais que des barres de fer se baladaient dans les fonds du bateau, risquant de transpercer la coque à chaque mouvement de roulis. Laure voyait son bateau pourrir, Isa nous voyait errer sans mats au milieu de l'océan. Ces rêves ponctuaient nos changements de quart. Laure me réveillait, souvent en sursaut les nuits agitées, sans allumer la lumière pour ne pas réveiller Isa qui dormait sur l'autre banquette du carré, à un mètre de moi. Deux bannettes pour trois et chacune son duvet. Mise en tenue de combat (souvent un pantalon et un haut, un pull au cas où, et surtout le harnais), mes gateaux (3 catégories : les bons mais un peu sec à la longue, les très bons et les hmmmmmmmm c'est merveilleux) et hop sur le pont. Un ptit tour d'horizon, "t'as vu des bateaux?", "t'as eu du vent?", papottage de quelques minutes sur un rêve, une anecdote, parfois une manoeuvre de voile, et laure allait se coucher. 2h30 seule à la barre, pleines de reveries, d'observation de la mer, de ses mouvements, changements... Les nuages, les étoiles, le reflet de la lune... parfois une tache fluorescente, créée par le mouvemnt d'un mysterieux animal marin au milieu du plancton fluorescent, qui nous rappelle qu'il y a 3000m de profondeur sous les quelques millimètres d'épaisseur de la coque de Gandalf... 3000 mètres de mystère.
Quelques coups d'oeil sur la montre d'Isa (la mienne m'a laché au bout de quelques jours) pour ne pas louper le changement de quart, parfois des milliers de coups d'oeil deséspérés "quoi ca fait que 2 minutes que j'ai ragardé la montre, j'avais l'impression que c'était une éternité!", puis j'allais réveiller Isa. Alors de quel coté elle dort cette fois? amarrer la barre le temps de descendre, pas de bruit pour pas réveiller laure qui dort à coté... isa! (essayer de trouver sa jambe... oups c'est pas une jambe ça!) isa!! réveil en sursaut : HEIN QUOI! et là forcément le BLING BLANG flotch SPLING du bateau qu'est plus sur sa route et qui part dans tous les sens pasque ya plus personne à la barre.
Enfin la ptite routine quoi!
On pourrait croire que tous les jours se ressemblent, que le paysage est figé, mais ce n'est pas le cas. Déjà la mer joue un ballet permanent avec les nuages, et tellement de choses viennent agrémenter la ballade : un  poisson pêché qu'il faut préparer et cuisiner, un grain pour se doucher et rincer ses fringues, laure qui daigne sortir l'accordéon, une mer plate qui permet de bouquiner en restant à la barre... sans oublier les changements de voile, les vérifications du bateau et de l'état des denrées périssables, et les réparations diverses.
A vrai dire, même à trois on était bien occupées. Et puis on essaye d'organiser sa journée : après-manger : sieste d'1h, puis vaisselle, yahourts et une douche avant mon quart... et là pas de bol, ça mord! etant donné que je suis censée etre l'experte en peche vu ma grande expérience en la matière, ça bouleverse un peu tout... surtout le repas du soir!
On peut pas dire qu'on ai bien pêché, mais vu les moyens du bord je trouve qu'on s'est pas mal démerdées!  des poissons volants, qu'on a eu qu'à ramasser sur le pont, 2 dorades, 2 bonites et un thazar... pas mal nan? Ya eu de gands moments d'anthologie quand même! Il faut imaginer qu'au bout de quelques jours il a commencé à faire une chaleur étouffante et qu'on se balladait en petite tenue sur le bateau... et on se rendait compte du ridicule de la situation quand on voulait se prendre en photos avec notre prise de la journée : comment faire un cliché crédible? qui va regarder le poisson tout juste pêché quand il peut reluquer les lolos de la fille qui le brandit fièrement? Enfin crises de rire sur le moment, et photos non exposables en arrivant!




Ci-dessus, notre plus belle prise, un thazar de 98 cm (je vous jure que je n'ai jamais lu chasse peche et tradition). L'anecdote de sa capture est belle :  En remontant la bête des profondeurs marines, je vois ce long poisson bleu avec des raies argentées sur  le dos  :  "woaa les filles je crois que c'est un barracuda, ces poissons là ca a de sacré dents, et une fois que ca mord ca lache pas!".  Plan d'attaque :  Isa  à la barre se met bien sur tribord pour que laure et moi, couteau entre les dents, on le remonte à babord. "Je tire sur la ligne et toi tu le chope facon plaquage XV de france". Aussitot dit aussitot fait : Un coup sec pour remonter le monstre à bord, qui rebondit sur la plage arrière et se retrouve sur les genoux d'isa, hurlements, cohue, elle lache la barre dans le meme moment ou le poisson rebondit de nouveau pour atterrir dans le cockpit, le bateau part au tas dans un fracas de voiles qui faseyent et enfin laure lui chope la tete et je m'affale sur sa queue... chope le entre les deux yeux!! vas y entre les deux yeux!! mais ca marche pas! merde il bouge encore! fais quelque chose!! Bref au bout d'une heure, il etait enfin mort et découpé en filets, et au bout de 48h et 3 repas il n'en restait plus qu'un souvenir, à part peut etre l'odeur sur ma peau... Tout ca pour se rendre compte en arrivant que ce n'était pas un barracuda mais un thazar. La différence : les barracuda ont pleins d'épines sous la peau, et d'ailleurs faut pas en manger parce qu'il y a de fortes chances pour qu'il vous filent la ciguaterra, une sorte d'empoisonnement alimentaire qui peut etre très violent.
Les thons et dorades etaient souvent beaucoup plus dociles, meme s'ils avaient le chic pour mordre sous un grain : qui dit grain dit vent, donc vitesse, et ces poissons mordent quand le bateau marche bien. Mais grain veut aussi dire pluie, donc douche générale pour se déssaler... Bref pas terrible de pêcher juste après LA douche. Enfin c'etait marrant, de belles scènes complètement paranormales, les filles pleines de shampooing, un thon gigotant dans une main et le gel douche dans l'autre...

La dernière anecdote concernant les produits de la mer concerne le monstre marin que j'ai réveillé en pleine nuit. On a beau etre de piètres pêcheuses, on a quand meme lu pas mal de bouquins, et on savait qu'il fallait remonter la ligne de pêche avant la nuit, car les grands prédateurs marins sont nocturnes. Alors une nuit que je prends mon quart, je remarque que la ligne est encore à l'eau, je m'attèle pour la remonter en me disant pour déconner " si ca se trouve on mange du requin demain". héhé vous auriez vu ma tête quand je me suis rendue compte qu'il y avait quelquechose au bout! C'était tout au début de la traversée et on avait encore rien chopé. Ce poisson, on le voulait! mais on était pas encore organisées. Me voilà donc à ramener ma proie sur le bateau et HORREUR ca gigotait comme un serpent! Moi pas comprendre comment possible serpent sur bateau. Une lumière vite!!une lumière pour voir ce que c'est que ce... truc! bien sûr pas de lumière à portée de main, mes yeux commencent à s'habituer à la forme qui s'agite : c'est long d'un peu pus d'1 metre, ça se tord comme un serpent mais ce n'en est pas un. L'hameçon s'est décroché de sa... gueule pleine de dents, du coup je peux pas tirer sur la ligne pour le faire tomber dans le cockpit, va falloir que je le chope à la main si je veux pas qu'il retombe à l'eau... je hasarde un timide "les filles" en espérant un peu d'aide dans cette lutte terrible et sans merci.  Pas de réponse.  Tant pis il faut agir! Je dégringole dans le carré pour choper une lampe, je trouve pas de couteau, je remonte : à la deuxième inspection je vois très clairement la gueule pointue pleine de dents, et les épines tout le long du corps, par où je vais le choper?! J'en suis à ces belles considérations quand le poisson-reptile s'agite très clairement vers la sortie de secours... Alors dans un élan de fierté, de faim et d'instinct chasseur je bondis sur le monstre en attrapant dans le meme mouvement une brassière avec laquelle je plaque au sol le seul bout encore présent sur le bateau : sa gueule!! Un, deux, trois mouvements reptiliens et mon cauchemar nocturne s'échappe comme une anguille dans un plouf à peine audible. Je l'ai laissé filer!! Je l'ai laissé filer!!
Inutile de vous dire que les filles se sont bien foutues de moi, bref que ma place de maitre de pêche à bord a été fortement remise en question, et qu'on a encore mangé du chorizo.
N'empêche que j'ai retrouvé mon monstre marin, dont personne n'avait entendu parler à terre, après 1 an d'accusations de fabulatrice, dans un bouquin, photo à l'appui! Merci messieurs les aventuriers du Kon Tiki, je vous dois bien un peu de publicité, d'autant que votre livre "l'expédition du Kon Tiki", de Thor Heyerdahl, est l'un des meilleurs dans son genre : un sacré exploit raconté avec beaucoup 'humour.





15/01/2009
2 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour